À qui la faute ? Par Alain Lévy

La paire Nord-Sud a déclaré un très mauvais contrat. Comme souvent, chacun des deux joueurs pense que son partenaire est responsable de l’accident. Et vous, qu’en pensez-vous ?

Cette série est consacrée au thème : Les soutiens majeurs de l’ouvreur.

Problème 1 (facile)

Le constat

Un chelem sans impasse avec 27H grâce à une bonne concordance des honneurs. À qui la faute?

Les arguments

Nord : «Je ne me sens pas concerné par cet accident stupide. J’ai enchéri une distribution irrégulière dans la zone de l’ouverture de 1SA, 15-17H. En revanche, je
trouve ta conclusion à 4♠ très timide avec six cartes à Pique et deux couleurs contrôlées.»
Sud : «J’ai enchéri comme en face d’une ouverture de 1SA. Avec 10H réguliers il n’est pas question d’envisager un chelem. Je crois surtout que tu as mal jugé tes cartes, ton jeu vaut bien plus que tu ne le penses.»

Le verdict

Nos deux jeunes gens débutent leur parcours en tournoi. Ils ont quelques bonnes bases, mais restent enfermés dans une évaluation limitée au compte des points d’honneurs. Nord, par exemple, a raison de définir sa redemande à 3♠ comme une main de deuxième zone, 15-17H, irrégulière pour n’avoir pas ouvert de 1SA. Mais pour contredire du tac au tac son argument, est-il correct d’ouvrir de 1SA avec ♠AD8 72 ADV104 ♣A52 ? Non, la main dépasse le cadre de la zone 15-17H par la qualité de ses honneurs et la qualité de sa couleur cinquième. Et pour les mêmes raisons, le jeu de Nord est trop fort pour se contenter d’une enchère non forcing à 3♠. Pour fixer les idées, la zone de ce saut est 14+H-17-H. Vous devez sauter à 3♠ avec ♠A1087 2 AD984 ♣A52 ou ♠R653 A RD74 ♣RD62.
L’enchère qui exprime correctement le jeu de Nord est un Splinter à 4. Ce saut ce justifie dans une zone 17+H-19-H et exprime donc un soutien de quatre cartes dans la majeure du répondant. Mais le véritable responsable de cet accident est Sud. Conclure à 4♠ est une grave erreur de jugement.
Il ne doit pas analyser ses cartes comme un jeu régulier de 10H. Il vient de découvrir un fit dixième et contrôle deux couleurs sur trois. Et il n’est pas difficile d’imaginer qu’en face de ses trois Rois il va trouver trois As. Il réalise même treize levées en face de quatre As blancs et la plus mauvaise des distributions : ♠A987 A A654 ♣A752.
Le seul problème de Sud est le contrôle à Cœur et, pour le découvrir sans perdre de temps, il doit répondre 4 sur 3♠ puis poser le Blackwood sur 4 et passer si Nord dit 4♠.

L'enchère responsable de l'accident

4♠ sur 3♠. Sud est responsable à 80%. Nord a une réelle part de responsabilité, 20%, pour l’expression très pessimiste de son soutien à Pique qui, néanmoins, ne doit pas empêcher son camp de déclarer le chelem.

La bonne séquence :

Problème 2 (moyen)

Le constat

Un contrat déclaré à plusieurs tables sur la même séquence, avec des fortunes diverses. Nos amis ont subi l’entame de l’As de Carreau pour une de chute, quand d’autres déclarants ont réalisé treize levées sur une entame neutre. Toujours est-il qu’il vaut mieux éviter de jouer ce chelem.

Les arguments

Nord : «Je ne vois pas d’erreur significative dans notre séquence. Il n’est pas question de passer sur 4♠ quand notre camp est connu avec 31 ou 32H et un fit neuvième. Faire une enchère de contrôle au palier de 5 nous prive de Blackwood, la question la plus importante à poser à mon avis. »
Sud : «Tout se joue à l’entame. J’estime que ce n’est pas un accident de jouer ce chelem.»

Le verdict

Déclarer un chelem sans le contrôle de toutes les couleurs n’est pas satisfaisant. La solution à ce problème tient au traitement de la main de Sud. Pour l’ouvreur de 1♣ ou de 1, il existe deux façons d’enchérir un jeu régulier de 18-19H avec un soutien de quatre cartes dans la majeure du répondant. Sauter à la manche au palier de 4 dans la majeure ou sauter à 3SA. Une main 5-4-2-2 offre de meilleures perspectives pour déclarer un chelem qu’une main 4-3-3-3 ou 4-4-3-2. Comparez le jeu ci-dessus ♠AR32 A4 86 ♣ADV95 avec ♠AR32 A84 V86 ♣AD5. En moyenne deux levées d’écart. Il est logique d’utiliser l’enchère la plus basse pour les jeux les plus forts, tout le système est construit dans ce sens. Ici, la redemande à 3SA permet d’éviter le chelem sans difficulté.

L'enchère responsable de l'accident

4♠. Sud est victime du système qui lui a été enseigné.

La bonne séquence :

L’absence de contrôle à Carreau clôt les débats. N.D.L.R. On l’aura compris, la signification de l’enchère de 3SA prônée ici par Alain Lévy, aussi défendable soit-elle sur le plan théorique, n’est pas celle indiquée dans le SEF, qui réserve 3SA à des mains strictement régulières (4-3-3-3 ou 4-4-3-2). Choisissez l’option que vous préférez, mais n’omettez pas d’en parler à votre partenaire !

Problème 3 (difficile)

Le constat

Un chelem en béton, douze levées d’honneurs, treize si l’adversaire oublie d’entamer à Carreau.

Les arguments

Nord : «Comme tu as pu le remarquer, j’ai réfléchi avant de conclure à 4♠. Et je suis arrivé à la conclusion que tu ne pouvais pas avoir toutes les cartes clés nécessaires pour déclarer un bon chelem, c’est-à-dire cinq des six cartes clés qui me manquent. Je me suis peut-être trompé dans la définition de ce saut à 4♣.» Sud : «J’ai enchéri une distribution 6-4 avec une belle couleur sixième à Trèfle, dans une zone forcing de manche, donc avec un minimum de 19H. J’ai réévalué mes 18H, raison pour laquelle je ne me suis pas contenté d’un Splinter en sautant à 4. Ta Dame de Trèfle et le neuvième atout sont des éléments positifs pour faire un effort, mais j’avoue que ce n’est pas évident.»

Le verdict

Nos deux jeunes champions en herbe sont sur la bonne voie et semblent disposer d’un bon arsenal d’enchères pour exprimer un soutien fort de l’ouvreur. Alors, où est l’erreur ? Dans la définition de l’enchère de 4♣. Cette enchère décrit bien un bicolore 6-4 qui s’appuie sur une belle couleur sixième, commandée par deux gros honneurs. Elle est plus précise que le Splinter, qui varie du 4-4-4-1 au 6-4-2-1 avec une couleur sixième de qualité moyenne, en passant par la plus fréquente des distributions, 5-4-3-1. Mais elle couvre la même zone que le Splinter, c’est-à-dire 17+H-19-H. 4♣ n’est pas une enchère plus forte que 4 mais plus précise. Pour autant, au vu des cartes de Sud, 4♣ répond parfaitement à toutes les conditions. C’est là que les remarques de Nord prennent toute leur valeur. Il parle d’évaluation en cartes clés. Michel Bessis donne une définition très précise du saut à 4♣ : quatre cartes clés avec contrôle du résidu, cinq cartes clés sans contrôle du résidu.

♠RDV2
106
3
♣ARD1075

Cinq cartes clés sans contrôle de résidu.

♠RDV92
R6
3
♣ARV1075

Quatre cartes clés avec contrôle
du résidu.

♠RDV2
R6
3
♣ARV1075

Quatre cartes clés avec contrôle
du résidu.

Le jeu de notre exemple comporte cinq cartes clés et le contrôle du résidu. C’est trop. Ce jeu doit être exprimé dans la zone supérieure, celle du Superforcing. Le Superforcing s’exprime par un saut au-dessus du bicolore cher dans la couleur résiduelle, ici 3. Il correspond à une zone 19+H et une distribution 5-4-3-1, 18+H et une distribution 6-4-2-1. Il garantit, par inférence, le contrôle de coupe de la dernière couleur. Sur 3, le répondant freine à 4♠ s’il est minimum, répond 3♠ non minimum avec de beaux atouts sans contrôle à nommer. C’est l’enchère à faire avec les cartes de Nord. Sur 4♣, Nord a raison de conclure à 4♠. Il doit sauter à 5♠ avec ♠AD874 D62 873 ♣D4.

L'enchère responsable de l'accident

4♣ en Sud. Sud est seul responsable, Nord n’a pas de quoi faire un effort.

La bonne séquence :

Cet article a été écrit par Alain Lévy et a été initialement publié par Bridgerama+

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