Le Schapiro Spring Fours, organisé par l’EBU, est depuis longtemps mon événement préféré du calendrier anglais, et je suis donc ravie d’en parler ici. J’espère vous donner un aperçu de la façon dont les meilleurs joueurs abordent ce type d’événements, et si quelques équipes supplémentaires s’inscrivent l’année prochaine, ce sera encore mieux ! La raison pour laquelle j’aime tant cet événement est que, pour moi, c’est la combinaison parfaite entre un tournoi sérieux et de haut niveau et un tournoi amical et social. Les joueurs séjournent souvent sur place, un excellent bar est toujours disponible quel que soit l’endroit où la compétition se déroule, de sorte qu’il y a toujours un bon nombre de personnes avec qui discuter le soir.
Les Winter Games avaient lieu juste avant le Schapiro Spring Fours (SSF). Mon partenaire, Mike, participait aux deux épreuves, ce qui signifie que notre préparation pour le SSF impliquait de nombreuses discussions sur les mains qu’il venait de rencontrer à Tignes. C’était utile parce que j’ai un travail à plein temps en dehors du bridge et que je compte sur la discussion des mains problématiques et sur l’utilisation de Bridge Master pour mettre mon cerveau en marche avant une compétition. C’était également utile pour Mike car, comme vous le lirez plus bas, parler des mains après-coup est le meilleur moyen d’aller de l’avant et de se "réinitialiser" mentalement.
Nous avons également consacré du temps à la mise en pratique de notre système. Nous nous entraînons sur BBO car il y est possible de présélectionner un type de donnes, d’enchérir contre des robots et de passer rapidement d’une main à une autre. J’ai beaucoup de mal à lire et relire les fiches d’un système, je suis plutôt du genre à apprendre par la pratique. En conséquence, enchérir un grand nombre de mains et en parler au fur et à mesure est de loin le moyen le plus facile pour moi de saisir comment l’ensemble s’articule.
Cette année, l’EBU avait déplacé le SSF à Bristol, ce qui, à mon avis, était un excellent choix. Le site n’était certes pas parfait, même s’il était formidable à bien des égards. La ville était magnifique et offrait une grande variété d’hôtels et de restaurants pour tous les budgets et tous les goûts. Il est particulièrement important pour moi de trouver de la bonne nourriture, car j’ai souvent du mal à m’alimenter correctement pendant la compétition ‒ je suis une joueuse assez nerveuse et je perds souvent l’appétit. C’est pour cette raison que j’aime grignoter entre les matchs pour maintenir une glycémie normale : je consomme en quantité des barres de céréales et des “energy balls”.
Selon moi, un autre élément important pour bien jouer est de se sentir en confiance, et le fait d’avoir le bon partenaire et les bons coéquipiers fait une énorme différence à cet égard. Phil et Benjy, nos coéquipiers, ont été charmants ‒ ils ont été d’excellente compagnie et toujours prêts à regarder les mains, sans jamais s’attarder sur les erreurs.
Ils ont également ramené de superbes coups de cartes, ce qui est toujours utile ! Phil a produit une originale remise en main unicolore sur cette donne :
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Ouest entama du 10 de Carreau et Sud coupa le deuxième tour. Il laissa filer la Dame de Trèfle et Est insista à Carreau, coupé (une contre-attaque à Pique aurait été fatale mais alors on ne parlerait plus de cette donne…). Après la purge des atouts et deux autres tours de Trèfle, telle était la position :
Sur le 10 de Trèfle, Ouest était pris au piège. S’il défaussait le 6 de Pique, le déclarant rejouait Pique à blanc. Et s’il préférait défausser le 10 de Pique en déblocage, le déclarant présentait la Dame de Pique couverte du Roi, duqué. Ouest, alors muni de V6, devait se jeter dans la fourchette A7. Superbe !
Voici une autre donne intéressante apparue lors d’un match ultérieur, où la plupart des déclarants se retrouvèrent au contrat de 3 Sans-Atout, la moitié d’entre eux seulement parvenant à tirer leur épingle du jeu :
La meilleure entame pour la défense est Cœur, entame qui était plus ou moins difficile à trouver en fonction des enchères. Comment Sud doit-il manœuvrer sur l’entame du 10 de Cœur ?
Tous les déclarants ont présenté le Roi de Carreau, qu’il est naturel de duquer "foulée". Prendre et jouer un autre Cœur bat le contrat, telles que sont les cartes, mais Sud pourrait fort bien détenir RV(x) à Carreau. Une fois que le Roi a tenu, le déclarant voit qu’il n’a aucun intérêt à se précipiter sur Trèfles : s’ils "roulent", rien ne presse. Il peut songer à monter au mort à la Dame de Trèfle pour jouer Pique, ce qui lui permettra d’y amasser trois levées dès qu’Est possède Rx, RD ou RDx. Et s’il a RDxx, il gagnera aussi car le Valet de Pique fera la levée et il pourra cette fois affranchir un Trèfle pour le neuvième pli.
Une meilleure chance est d’essayer d’affranchir les Carreaux. À première vue, on pourrait penser que le bon maniement est de jouer un petit pour le 10, mais en fait, c’est le contraire qui est vrai.
Si la couleur est 3-3, vous jouez à la devinette. N’en parlons plus. Mais si la couleur est 4-2 (Ouest fournissant encore petit au second tour), c’est la Dame qu’il faut appeler, pour le cas où le Valet serait second en Est.
Roy Welland a trouvé ce maniement à la table et a été récompensé à juste titre : bien que le Valet ne soit pas tombé, la Dame a tenu et un troisième tour de Carreau a permis d’établir la couleur.
Jouer pour le Valet court est un thème récurrent lorsque vous détenez sept cartes dans une couleur mais aussi lorsque vous en êtes en fit 7-1.
On refait le match !
Presque tous les bridgeurs que je connais veulent effectuer une analyse post-mortem des mains une fois l’épreuve terminée. Notre équipe l’a fait dans une certaine mesure tous les soirs, mais Mike et moi avons également eu la chance d’avoir un ami d’une autre équipe qui est resté avec nous pendant quelques jours après la fin du SSF, ce qui nous a permis d’avoir une autre perspective et une autre série d’histoires de sa part.
Passer en revue les mains avec mon partenaire après une épreuve est important pour moi, et ce pour plusieurs raisons. Tout d’abord, cela me permet de tirer un trait dessus et de passer à autre chose. Quel que soit son déroulement, j’en sors toujours avec le sentiment qu’il y a un million de choses que j’aurais pu mieux faire et ce processus m’aide à examiner logiquement ce que j’ai fait de bien et de moins bien, et à me faire une idée moins émotionnelle de mes résultats et des points sur lesquels je dois travailler pour aller de l’avant.
Cela peut également m’aider à repérer les compartiments du jeu où j’ai tendance à commettre le plus d’erreurs. Il peut aussi s’agir de positions spécifiques pour lesquelles j’ai un trou noir. Mais cela peut également être un élément extérieur au jeu, tel que : «J’ai beaucoup de mal à me concentrer lorsqu’il y a du bruit autour de la table et je dois m’efforcer de ne pas participer aux discussions entre les tables.»
Un troisième avantage est que le fait de parler des mains peut mettre en évidence les domaines dans lesquels le partenariat doit encore être sensiblement amélioré. Il est facile de penser, après un mauvais résultat, qu’un élément du système ou un agrément spécifique est à blâmer, mais parler des mains quelques jours après qu’elles ont été jouées peut permettre de voir plus facilement si c’est vraiment le cas. Mike et moi avons joué pendant un certain temps les appels de Smith tant à la couleur qu’à Sans-Atout, avant de décider d’abandonner cette convention après une longue analyse sur de nombreuses séances.
Le quatrième et, à mon avis, le plus grand avantage de l’analyse des mains est qu’elle renforce la compréhension du partenariat et souligne une dynamique de partenariat dans laquelle mon partenaire et moi formons une équipe. Cela n’est possible que si les analyses post-mortem sont véritablement ouvertes, encourageantes et sans jugement. Les partenaires qui n’ont pas d’ego lors des discussions post-mortem valent leur pesant d’or. Inversement, quelqu’un qui tente d’utiliser cet entretien pour affirmer son autorité ou saper la confiance de son partenaire peut faire beaucoup de dégâts. Heureusement, j’ai trouvé davantage de personnes qui se situent dans le premier camp. Il est préférable, si vous le pouvez, de vous entourer de personnes qui aiment vraiment le jeu et que vous appréciez en dehors du contexte du bridge.
Enfin, et c’est probablement le plus important, essayez toujours d’être la personne avec laquelle vous aimeriez jouer et parler de bridge
Sarah Bell est une joueuse de bridge professionnelle et une enseignante à plein temps. Elle tient une rubrique régulière dans English Bridge. Sarah a représenté l’Angleterre en mixte et a remporté une médaille d’argent au championnat du monde par paires féminin. Elle a siégé au Comité des lois et de l’éthique de l’UBE et a été la présidente fondatrice du Groupe d’enquête sur l’éthique en ligne de l’UBE.