
Cet article a été écrit par Alain Lévy et a été initialement publié par Bridgerama+. Vous pouvez retrouver Bridgerama+, toutes ses archives et bien plus d'avantages sur BBO+.
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La paire Nord-Sud a déclaré un très mauvais contrat. Comme souvent, chacun des deux joueurs pense que son partenaire est responsable de l’accident. Et vous, qu’en pensez-vous ?
Cette série est consacrée au thème : Défense contre les barrages.
Le constat
La fameuse crème renversée. Les deux contrats de 5 Coeurs et 4 Piques chutent de deux levées, à qui la faute ?
Les arguments
Nord : «Le contre d’une ouverture de 4♠ est punitif. Tu n’es pas autorisé à l’enlever, sauf distribution exceptionnelle. J’avais fait la bonne enchère, nos adversaires ont laissé lâchement jouer 4 Piques.»
Sud : «Ce contre est d’appel, comme tous les contres d’une ouverture de barrage. Avec mes cartes, je ne m’attends vraiment pas à chuter 5 Coeurs. Tu dois passer sur 4♠ comme Muriel dans l’autre salle.»
Le verdict
La première erreur est la définition du contre de l’ouverture de 4♠ donnée par Nord, erreur assez fréquente et source de conflit entre partenaires. Qui décide si le contre est punitif ou d’appel ? Personne,
mais il faut bien choisir entre ces deux interprétations qui s’opposent. Et ce choix s’est établi sur la fréquence d’emploi d’un contre d’appel comparée à celle d’un contre punitif.
Et là, il n’y a plus de discussion possible. Un jeu qui a deux levées d’atout, ou même simplement une longueur de trois cartes à Pique, est moins fréquent qu’une distribution avec une courte à Pique. La raison est très simple. L’ouverture de 4♠ annonce une couleur huitième, il reste cinq cartes à se partager entre les trois autres joueurs, la part moyenne de chacun est donc de 1,6 carte. Le contre punitif est trop rare. Pour ceux qui sont d’accord que ce contre est d’appel, une autre question se pose. Est-ce vraiment un contre d’appel ou un contre optionnel ? La réponse est simple. Le contre optionnel n’existe pas. Un contre est d’appel, punitif, informatif, de réveil ou autre, mais il est toujours défini comme tel, il ne peut pas associer plusieurs de ces diverses définitions.
D'où vient cette confusion ? De l’attitude que doit avoir le partenaire sur ce contre d’appel. La réponse au contre d’appel de l’ouverture de 4♠ propulse les enchères au palier de 5, un palier dangereux à n’atteindre qu’avec l’espoir de développer onze levées ou de trouver une défense rémunératrice. Et ce n’est que dans ces deux cas que le partenaire doit répondre au contre. Avec un jeu régulier, sauf très fort, il doit passer, une transformation passive (ou par défaut), avec ou sans levées de défense, avec l’espoir que le contrat chute ou sinon, que la surenchère coûte plus cher (-800 contre -590 par exemple). Ici, en réponse au contre de son partenaire, Sud doit passer car sa main plate et relativement faible n’a que peu de chances de produire onze levées en face d’un contre d’appel "normal". Mais il est loin d’être seul responsable. Nord ne doit absolument pas contrer 4♠ avec son jeu car si son partenaire a, comme prévu, une courte à Pique, il va enlever ce contre et… être très déçu. Il doit se contenter de marquer 100 points dans sa colonne plutôt que 300 pour éviter de perdre un gros swing.
L’enchère responsable de l’accident
Le contre de Nord. Les torts sont partagés 50%-50%. Nord doit passer sur 4♠, Sud doit passer sur le contre.
La bonne séquence
Le constat
Le grand chelem est difficile à déclarer, nommer le petit chelem semble à la portée de nos deux héros.
Les arguments
Nord : «Avec ton jeu, tu dois d’une façon ou d’une autre imposer le chelem à Coeur dès que je contrôle les Piques. J’ai bien vu que tu n’avais pas conclu à 4♥ sur 3♠ et annoncé ainsi de vagues ambitions de chelem mais, avec mon ouverture minimale et régulière, je ne peux que passer.»
Sud : «Et c’est là où nous ne sommes pas d’accord, encore une fois. Ton jeu n’est pas minimal en raison de la qualité et de la localisation de tes honneurs, et en particulier de ton contrôle du premier tour à Pique. Tu dois absolument reparler sur 4♥ parce que j’ai exprimé des ambitions de chelem sans contrôle à Pique pour n’avoir pas dit 4♠ sur 3♠.»
Le verdict
Dans cette question, désigner un coupable ou partager les responsabilités est plus délicat parce que le poids de la décision pèse autant sur le jugement que sur la technique. Sud a bien compris qu’il ne peut pas se contenter de surenchérir à 4♥ sur 3♠ et avancé comme argument pour justifier sa séquence qu’il ne pouvait pas dire 4♠ sans contrôle à Pique, une affirmation plus que douteuse. 4♠ est la seule enchère qui exprime un soutien forcing à Coeur, avec ou sans contrôle à Pique (avec 5♥,voir ci-dessous).
D’un autre côté, oui, la séquence de Sud exprime un espoir de chelem, mais plutôt avec trois cartes à Coeur.
Une question se pose. Si 4♠ n’affirme pas un contrôle à Pique, quelle différence faire entre l’enchère de 4♠, cue-bid, et celle de 5♥, soutien fort à Coeur sans tenue à Pique ? L’enchère de 5♥ dénie le contrôle à Pique mais impose le chelem dès que l’ouvreur le possède. Et c’est l’enchère qui se rapproche le plus des cartes de Sud qui réunissent un soutien de cinq cartes à Coeur, le contrôle des deux autres couleurs et une couleur à Carreau qui augmente les chances de développer les douze levées.
Les torts de Nord sont du domaine du jugement, ce que confirment ses arguments quand il trouve que son jeu ne méritait pas de relancer la séquence. Alors, oui, la distribution est régulière, mais toutes ses cartes incitent à explorer un chelem en face de la proposition annoncée par son partenaire. L’As de Pique est évidemment, la carte clé, mais la qualité de ses atouts et ses honneurs groupés à Trèfle aussi. Indiscutablement, Nord doit dire 4♠ sur 4♥.
L’enchère responsable de l’accident
Le contre de Sud sur 3♠. Torts partagés : 65% en Sud, qui doit hésiter entre les enchères de 4♠ et 5♥, et 35% en Nord qui doit dire 4♠ sur 4♥.
La bonne séquence
Tout près du bonheur. Le grand chelem est ici sur table mais à 50% en échangeant un Pique contre un Carreau dans la main de Nord.
Le constat
Deux de chute à 3 Sans-Atout, un contrat de 4 Piques qui a ses chances, une ouverture de 3♥ inattendue qui aurait pu être sanctionnée.
Les arguments
Nord : « Mon intervention à 3SA est évidente, surtout dans ce tableau de vulnérabilités. En revanche, ne pas dire 4♠ avec tes cartes est incompréhensible.»
Sud : « Il faut six cartes pour nommer une couleur sur une intervention de 3SA qui peut montrer aussi bien une distribution régulière qu’un unicolore mineur, un arrêt à Coeur et parfois même un singleton à Pique. Tu dois passer sur 3♥ et espérer que je réveille par contre, ce que j’aurais peut-être fait. »
Le verdict
Cet accident est arrivé à deux premières séries nationales et un rapide sondage m’apprend que les avis des experts sont partagés, 70-30, 70 ayant opté pour le passe. Le premier réflexe est d’intervenir par 3SA, pour les raisons avancées par Nord, c’est une enchère évidente avec 16H et une solide (!) tenue à Coeur. En outre, vulnérable contre non vulnérable, il y a beaucoup plus à gagner qu’à perdre. Et d’ajouter que non vulnérable contre une ouverture de 3♥ vulnérable, passer devient évident, pour assurer au pire un score de 300, trois de chute non contré contre un 400 facultatif. Ce raisonnement est incomplet et, de là, erroné. Passer sur 3♥ risque de mettre fin à la séquence pour un pitoyable +150 si Sud n’a pas de réveil. Sauf que si Sud n’a pas de réveil, les chances de gagner 3 Sans-Atout sont très faibles sinon nulles. Mieux vaut +150 que -300. Et si Sud réveille par contre, vous savez quoi faire. Marquer entre trois et quatre de chute. Et oui, Sud doit contrer en réveil, ayant deviné que Nord a passé avec un contre punitif.
Après cette intervention malheureuse à 3SA, Sud a un problème : passer ou nommer ses Piques. Sa remarque est justifiée, faire un Texas avec cinq cartes à Pique est logique en face d’une distribution régulière mais peut très mal tomber si le partenaire est intervenu avec un unicolore mineur maître. Ce qui n’est pas le cas ici, sinon où sont passés les Coeurs ?!
L'enchère responsable de l'accident
L’intervention par 3SA. Nord est coupable à 80%. Sud à 20% car il doit nommer ses cinq cartes à Pique, en Texas après mise au point !
La bonne séquence
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Cet article a été écrit par Alain Lévy et a été initialement publié par Bridgerama+. Vous pouvez retrouver Bridgerama+, toutes ses archives et bien plus d'avantages sur BBO+.