Comme promis, je vais écrire à propos du bridge et de bien-être pendant les prochains mois. Je pense que le bridge peut améliorer notre qualité de vie de différentes manières et étant-donné que j’étudie professionnellement le bien -être, j’ai décidé d’analyser ces différents aspects plus en détail avec l’intention de démontrer comment les gens peuvent améliorer leur bien-être en jouant au bridge.

J’étais sur le point d’écrire sur les défis cognitifs que le bridge permet. C’est un sujet important qui vient à l’esprit en premier. En effet, beaucoup d’entre nous apprécient particulièrement l’entrainement mental que l’apprentissage et la résolution de problèmes offrent. J’avais déjà commencé à écrire quand un ami à moi est décédé. Ce n’était pas un ami proche mais un joueur que je connaissais de la table de bridge. Il s’appelait Nikica Staničić. Un jour il était là, le lendemain il était parti, ça a été un choc pour la communauté croate de bridge. Notre fédération est très petite, avec un peu moins de 1 000 joueurs, ceux qui jouent depuis quelques années au bridge se connaissent pour la plupart. Et tout le monde aimait et respectait Nikica car c'était un homme si modeste, humble et gentil.

Nikica a commencé à prendre des leçons de bridge débutant à l’approche de son grand âge. Avec sa femme Anica, ils jouaient régulièrement dans les clubs de bridge de Zagreb et participaient à des tournois dans le voisinage. Ils étaient ensemble pour la vie, vivant une vie ordinaire et heureuse, comme ceux qui parviennent à s'unir avec leur âme sœur. Ils jouaient toujours ensemble. Anica avait beaucoup plus de talent et n'hésitait pas à le faire savoir.

Nikica, quant à lui, ne se préoccupait pas du challenge intellectuel du bridge. Il n’était pas contrarié par un mauvais score, il n’avait jamais honte de faire des enchères ou des parties ridicules, quand j’y pense, je ne me souviens pas qu'il ait été particulièrement heureux quand il marquait lui-même un top. La compétitivité ne faisait pas partie de son vocabulaire. Je doute qu'il sache qu'il y avait un classement des joueurs, et encore moins qu'il y vérifie sa position.

Vous vous en souvenez peut-être, dans mon article de juin, je considérais le bridge comme une activité de loisir sérieuse. Eh bien, pour Nikica, il n'y avait rien de sérieux dans le jeu, mais il prospérait simplement en étant là.

Laissez-moi vous expliquer. Dans leurs discussions régulières, qui tendaient vers des monologues, Anica avait souvent raison, mais peu importe ce qui se passait, il ne disait jamais un mot ni ne fronçait les sourcils. Je crois qu'il était secrètement si fier d'elle, de son esprit combatif et impitoyable qu'il appréciait vraiment chaque instant. Et elle le savait. Elle jouait pour lui dans cette vie imaginaire à la table. Au lieu de se fâcher ou de se défendre, il restait complètement calme avec un sourire mystérieux flottant au coin de ses lèvres. Le bridge était un théâtre, et il était parfaitement satisfait de jouer un rôle de soutien. Bien que ses ambitions dans le bridge soient proches de zéro, cela n'interférait en rien avec sa capacité à en tirer du plaisir. Au contraire, cela l'a peut-être même aidé puisqu'il ne luttait pas avec des sentiments d'incompétence et de déception comme beaucoup le font. Il était juste assis là avec une aura calme, saluant chaque adversaire de manière aimable et respectueuse, attendant le déroulement de l'intrigue d'une autre partie. Il appréciait l'atmosphère, chérissait sa femme et était si amusé par nous tous, luttant pour un jeu de cartes. Peu importe le score, il quittait toujours le tournoi heureux et comblé.

Bien qu'il ne soit pas bavard, au cours de la dernière décennie, j'ai été suffisamment témoin de ses observations bien placées et pleines d'esprit pour le considérer comme une personne très intelligente. Je suis sûre qu'il aurait pu apprendre le bridge à un niveau bien plus élevé s'il avait essayé. Mais il était parfaitement satisfait de ses compétences de débutant et fasciné par le paysage pittoresque et dynamique du bridge dont il faisait partie. Et c'est ainsi que le bridge a enrichi sa retraite, et comment lui, avec Anica, a enrichi le bridge en Croatie.

Je me souviens d'un tournoi en particulier lorsque je les ai approchés pendant la pause. Nous bavardions un peu sur des sujets quotidiens sans importance quand Anica a lâché que leurs adversaires venaient de déclarer et de réaliser trois slams d'affilée, en un seul tour. Je n'avais pas encore joué ces parties, donc évidemment elles devaient être annulés, et j'ai perdu l'occasion de jouer le tour de slams. J'étais un peu contrariée, mais les voir rire de leur blague involontaire valait bien la peine de manquer ces parties.

Je les vois encore debout par une froide nuit d'hiver, grelottant devant le club, enveloppés uniquement dans une affection durable, partageant une cigarette comme s'ils étaient adolescents. Ils planifiaient soigneusement leurs excursions au bridge, sacrifiant parfois d'autres petites indulgences pour joindre les deux bouts. Ils manquaient rarement un tournoi dans le voisinage, même si cela signifiait se lever tôt et conduire quelques heures dans leur vieille voiture, sirotant un espresso pour combattre la fatigue. Même dans leurs propres moments difficiles, ils étaient les participants les plus fidèles à tout tournoi de bienfaisance et faisaient de leur mieux pour soutenir la communauté du bridge.

Nikica a joué son dernier tournoi avec sa femme quelques jours avant sa mort. Sur sa dernière partie, il a marqué 100%. Bien que j'aie été soulagée de découvrir cela, je suis sûre que cela ne l'aurait pas dérangé si c'était un zéro.

Il était l'un des plus fidèles supporters de la page Facebook de la Fédération Croate de Bridge, encourageant passionnément nos équipes lors de chaque événement auquel elles participaient. Il a aimé mon post Facebook concernant les équipes croates aux Championnats d'Europe un jour avant son décès. En écrivant ceci, son nom figure encore sur la liste des paires inscrites au "Tournoi Anniversaire du Club" et je n'ai pas la force de le retirer de la liste. Il est encore tellement présent. Je ne sais pas ce qui s'est passé, mais je suis sûre que le Paradis est un endroit plus paisible maintenant.

Je vois souvent des joueurs de club se disputer - après tout, cela fait partie intégrante du bridge que beaucoup apprécient. Cependant, Nikica m'a appris que le bridge peut être une partie importante et épanouissante de nos vies même si nous ne le prenons pas au sérieux, même si nous ne faisons aucun effort pour nous améliorer ou nous comparer aux autres. En nous concentrant entièrement sur les cartes et en nous immergeant dans le jeu, nous pouvons passer à côté de certains de ses avantages supplémentaires, ceux dont Nikica était un véritable expert.

Connaissez-vous des joueurs comme Nikica, ou peut-être êtes-vous vous-même l'un d'entre eux ? Avons-nous besoin de plus de Nikica dans le bridge pour le rendre moins stressant et plus confortable pour tous ?

Cette colonne est dédiée à M. et Mme Staničić, car au fil des ans, ils ont fait du bridge croate un lieu meilleur et plus humain.

À propos de l'auteur

Tihana Brkljačić est psychologue et joueuse de bridge. Elle enseigne la psychologie et le bridge à l'université de Zagreb. Elle a représenté la Croatie lors de multiples championnats européens et au championnat du monde (Wuhan cup) en 2022. En tant que psychologue, elle s'intéresse principalement à la qualité de vie, au bien-être et à la communication. En outre, elle étudie la psychologie des jeux (en se concentrant sur le bridge en particulier) et consulte les joueurs sur divers sujets.